La Lorraine, située au premier plan de la Révolution industrielle et couramment associée à ses mines et hauts fourneaux, a vu se développer de nombreux secteurs industriels participant à la définition de l’identité culturelle et paysagère de son territoire. Amorcés dès les années 1970, le déclin et la délocalisation de nombreuses industries ont conduit à de véritables ruptures, tant sur le plan économique que dans la physionomie des sites. Bien que les tables-rases des années 1980 aient mobilisé des associations d’anciens ouvriers, la prise de conscience générale a été plus lente. Il s’agit d’un patrimoine récent issu d’activités variées et dont la valeur est peu reconnue : hauts-fourneaux, mines, filatures, papeteries, verreries, fonderies, minoterie, carrières et salines… L’habitat ouvrier, depuis les maisons en bande de Bouligny jusqu’aux pavillons modernes de Bataville, témoigne également de l’épopée industrielle. Un héritage si diversifié suscite une pluralité de positionnements de la part des collectivités et des architectes en charge de sa reconversion.
Les installations sidérurgiques et minières ont connu des destinées diverses. À l’image des opérations de verdissement des années 1980, les aciéries de Senelle-Maubeuge ont été effacées du paysage, laissant place au green d’un terrain de golf. Ailleurs, les chevalements, lavoirs et hauts fourneaux ont été conservés pour devenir le support de sites d’interprétation, tels que la mine de houille Wendel, la mine de fer d’Aumetz et le parc U4 à Uckange. La reconquête du site par le végétal s'impose autant dans les cas de démolition que de maintien des installations industrielles.
L'industrie a toujours évolué et s'est adaptée en continu pour faire face aux exigences de production. Figer un édifice industriel dans un état idéal équivaudrait alors à nier ce principe. Les édifices les plus anciens, comme le dépôt à sel de Dieuze ou la malterie de Stenay, font généralement l'objet d’un traitement conservateur, allant parfois jusqu’à la reconstitution à l’identique, telle la grande halle des abattoirs de Nancy. Certains bâtiments remarquables postérieurs à 1940 bénéficient quant à eux de la récente reconnaissance du Mouvement moderne et de ses architectes, tels que Le Corbusier, concepteur de l’usine Claude et Duval à Saint-Dié des Vosges.
Mais qu’en est-il de l’architecture industrielle plus banale, qui n’a ni l’ancienneté suffisante pour être reconnue comme patrimoine, ni l’opportunité d’être l’œuvre d’un architecte célèbre ? Beaucoup d’opérations de reconversion tentent de préserver l’esprit industriel d’un lieu en transmettant une certaine « poétique de la friche » : conservation des traces d’anciens usages et de la patine du temps, réutilisation et mise en scène des installations techniques… Une approche complémentaire matérialise radicalement les interventions contemporaines dans un contexte ancien, grâce notamment à l’utilisation contrastée de matériaux. Les extensions métalliques de la Manufacture des Tabacs de Nancy se distinguent nettement des bâtiments d’origine en pierre. Plus rarement, une complète mutation peut aller jusqu’à nous faire oublier la destination originelle du site. Le nouveau manteau vert fluo de la Nef à Saint-Dié-des-Vosges ne laisse aucunement transparaître l’ancienne fonction de la halle, dont les façades avaient été largement dénaturées précédemment.
La réponse architecturale la plus adaptée se situe dans la mise en valeur des caractéristiques propres aux bâtiments industriels. Volumes d’exception, compositions architecturales et urbaines monumentales, large apport de lumière zénithale, forte présence plastique des systèmes structurels, modularité et caractère sériel font partie des composantes récurrentes de l’architecture industrielle destinées à répondre aux exigences techniques et fonctionnelles initiales. Une même typologie peut susciter des stratégies de reconversion opposées. Par exemple, le site verrier de Meisenthal et la cristallerie Saint-Louis, tous deux ouverts au public, ont valorisé leur halle respective, soit en rendant visible l’intégralité de son volume, soit en y intégrant une nouvelle construction.
Les dimensions hors-norme des bâtiments industriels et les contraintes économiques locales concourent souvent à une grande inventivité lors du montage des projets de reconversion. Cela peut se traduire par un phasage des travaux de réhabilitation sur le long terme, telle l’évolution du carreau de mine à Mancieulles. Le choix d’un nouvel usage, original et audacieux, est une alternative d’intervention, comme le démontrent le centre d’expérimentation du développement durable sur le site des anciennes fonderies d’Écurey à Montiers-sur-Saulx et le Pôle écoconstruction bois logé dans d’anciennes filatures à Fraize. Un dernier exemple est fourni par le silo Vilgrain à Nancy, où en s’adaptant à son volume élancé, les architectes ont proposé des logements diversifiés tout en conservant l’aspect monolithique du bâtiment d’origine.
Lorsqu’un nouvel usage s’empare avec succès d’un bâtiment dont la conception répondait initialement à des exigences industrielles, les rapports d’échelle surprennent et les époques se superposent, engendrant une architecture singulière imprégnée de la mémoire des lieux, alors que le monde de la construction est de plus en plus standardisé.
La question de la reconversion d’édifices ayant perdu leur destination première se pose aussi dans le cas du patrimoine religieux, comme l’explique l’article Le devenir des églises désaffectées.
BELHOSTE Jean-François, Architectures et Paysages Industriels, L’Invention d’un Patrimoine, Paris : La Martinière, 2012.
COOK Anne & HOURTE Anne-Claire, Patrimoine et culture industrielle en Lorraine, Metz-Nancy : Direction Régionale des Affaires Culturelles de Lorraine, CCSTI du Fer et de la Métallurgie, Musée de l’Histoire du Fer, Éditions Serpenoise, 1996.
Publication CAUE 54 : Les Paysages Industriels du Pays Haut, 2012.
Crédit photo : Élise Pagel-Prévoteau/LHAC/ENSA Nancy © URCAUE Lorraine