L’architecture est une pratique collective fondée sur le noyau primordial formé par le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Commanditaire et architecte dialoguent pour établir les grandes lignes d’un projet, qui naît du désir du premier avant de passer sous le crayon du second. Dans l’histoire de l’architecture moderne, rares sont les exemples d’édifices majeurs construits sous la houlette d’un mauvais client. Au contraire, maints projets ont fait naître des amitiés durables par la connivence intellectuelle et personnelle que l’aventure architecturale, souvent mouvementée, consolide.
Il est une occasion où maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre ne font qu’un : la maison d’architecte. Les nancéiens Jean Prouvé en 1954 et Jean-Luc André en 1969, mais aussi le barrois Gagneur sept ans auparavant, ont chacun connu cette situation. Le processus menant de la première idée au bâtiment achevé en est sans doute facilité, mais en pareilles circonstances, l’architecture reste un lieu de débat, avec soi-même et avec ses proches.
Une rencontre a lieu dans tous les autres cas. Comment s’opère-t-elle ? Jusqu’aux années 1930, il est d’usage de signer la façade de ses réalisations majeures de telle sorte que le futur client sache à qui s’adresser. Les revues, puis les sites internet, ont pris le relais dans les décennies qui suivent. Ainsi, c’est par le biais du journal féminin Elle que Maurice Thiery découvre le Suisse Pascal Haüsermann à qui il confiera le Museumotel de Raon-l’Étape.
Le Corbusier profite pour sa part de ses réseaux d’amitiés qui, en Lorraine, se concentrent dans deux villes, Saint-Dié-des-Vosges et Briey. Dans la première, l’industriel Jacques Duval encourage son contre-projet de reconstruction de la ville, avant de lui confier la conception de son usine et, moins connu, de le faire intervenir dans sa maison personnelle. À Briey, le conseiller général Philippe Sers concourt à la commande d’une nouvelle Unité d’habitation de Le Corbusier et parvient à imposer l’architecte sur le chantier de l’aéroclub de Doncourt.
La commande publique, particulièrement lorsqu’elle émane des ministères parisiens, impose ses propres règles de désignation. Ainsi, les grands équipements tomberont souvent dans l’escarcelle des architectes des Bâtiments civils et palais nationaux (BCPN), avant que ce statut ne perde en influence à la fin des années 1970. C’est selon cette pratique qu’est choisi Georges Tourry pour dessiner la nouvelle Faculté des sciences et technologies de Nancy mais tout porte à croire que le projet fut conçu, dans l’ombre, par l’architecte pyrénéen Edmond Lay.
Le recours à la procédure de concours offre à la maîtrise d’ouvrage publique l’opportunité de confronter les options imaginées par divers hommes de l’art. La compétition internationale consacrée en 2003 à l’antenne messine du Centre Pompidou en est un bon exemple. Parfois, la mise en concurrence permise par le concours fait émerger des solutions inattendues à l’image de la Faculté de droit de Nancy qui n’aurait imaginé que son extension des années 1990 prenne la forme d’un haut volume plein à l’alignement de la rue. Pourtant les architectes Christian François et Patricia Henrion surent démontrer que c’était le meilleur parti pour répondre au contexte et aux exigences du programme.
Mais le vote du jury ne vient pas clore la question des relations entre commanditaire et architecte. Loin de là. Il n’est que la première étape d’une relation au long cours où la complicité est requise. Les cas des musées de Nancy, Sarrebourg et du récent Mémorial de Verdun illustrent ces patientes discussions entre architectes et conservateurs pour dessiner chaque cimaise, chaque vitrine et chaque socle en liaison avec les œuvres et objets à exposer.
CALLEBAT Louis, Histoire de l’architecte, Paris : Flammarion, 1998.
COLL., Concours Centre Pompidou-Metz, Paris : Le Moniteur / Centre Pompidou, 2004.
GÖSSEL Peter & POSTIGLIONE Gennaro, La Maison de l’architecte, Cologne : Taschen, 2013.
Crédit photo : Karine Thilleul/LHAC/ENSA-Nancy © URCAUE Lorraine